Avec l’ensemble des Sous-sols 1, 2 et 3, Margaret Dearing explore quelques-uns des espaces situés au-dessous et au-dessus d’une dalle presque légendaire du Grand Paris, celle du quartier d’affaires de la Défense : zones de transit, de stationnement, de connexions diverses et de locaux techniques. 

Sous son regard photographique, ce milieu est d’abord un registre de surfaces et de structures diversement confrontées. 

En souterrain : brillance des sols de parkings et des carrosseries, moellons revêches et béton rébarbatif, signalétiques défraîchies, vitrages encrassés de longue date, une empreinte de suie laissée comme un spectre sur le mur par une corbeille murale délogée. 

En surface : cassure des ombres allongées par un soleil radieux, parois dallées, revêtements modulaires. 

Le métal est insistant : gris alu brutal des valideurs de titres de transports du RER ; portes de sûreté donnant sur un mur sinistrement verdâtre. 

Angles et courbes, éclats et matité, rampes, goulets ombreux, tunnels solitairement parcourus. 

Travail « formaliste » donc ? Oui… et non. Car ces matières et ces réseaux sont signifiants. Regardons ce piéton dont le costume fait un plissé-moiré. Il semble lui-même artificiel. L’image figure une forme de vie : corps comme opérateur du sens, ou du non-sens de notre monde. 

Car il y a des corps. Des voyageurs traversent le cadre en faisant biper leurs passes : femme en foulard noir, homme au col de fourrure et trois autres usagers, deux bras étrangers qui se croisent. Contraste entre la dureté de ces machines et ces corps emmitouflés, champ traversé de mouvements immobiles. 

Ailleurs, des salariés en attente, debout, claquemurés dans leurs casques, oreillettes et smartphones. Forme de vie. 

On circule dans ces espaces, mais aussi on s’y réfugie : d’autres êtres tentent d’y subsister, comme en témoigne çà et là une couette derrière une paroi vitrée. Forme de survie cette fois. Et ces deux hommes qui nous observent, exceptions de la série, sont-ils de ceux-là ?

Que nous suggèrent ces images ? Nous ne sommes soumis à aucun apport textuel, il nous est implicitement demandé de faire jouer l’intelligence du voir.

En France, on constate une tendance à réduire la photographie à deux genres : le « documentaire » ou la « fiction ». Antinomie réductrice. Il a toujours existé – et il existera toujours - une troisième voie, la plus troublante. Les photographes y affrontent bien la réalité en prise de vue directe, et pourtant leurs travaux ne sont ni « documentaires » (au sens de l’enquête à caractère social) ni « fictionnels » (puisqu’ils reposent sur des faits constatés). Tant il est vrai que percevoir est une manière d’imaginer.

Margaret Dearing s’inscrit dans cette généalogie d’une vision à la fois puissamment ancrée dans le concret, apparemment simple, résolument elliptique. En envisageant le monde, le regard y explore ses propres modalités.

                                                                                                   Arnaud Claass